LES DIRIGEANTS DE LA BANQUE DE FRANCE SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE (suite)
Les Négociants & Armateurs
A
partir de 1802, la plupart des dirigeants aspirent à la reprise des échanges maritimes
avec les autres continents, en particulier entre l'Europe et ses colonies. Ils
considèrent cette reprise comme étant la base de la prospérité de leurs affaires.
Ainsi chaque tentative de négociations diplomatiques avec l'Angleterre est-elle suivie
d'une frénésie d'investissements dans le commerce. Quatre Régents sur cinq ont des
intérêts dans l'armement maritime et le commerce de marchandises.
Barrillon et
Récamier sont associés dans une maison de négoce à Montpellier avec Martin-Puech. La
société Johannot, Jaquet, Carié et Cie doit abandonner sous l'effet du Blocus
le commerce international de toiles & indiennes pour se consacrer à la commission en
marchandises. Hottinguer détient une filiale Bourlet, spécalisée dans le
négoce à Rouen puis à Nantes. A partir de 1802, elle réalise de grosses opérations
sur les denrées coloniales et les textiles. Cordier est en relation constante avec
Vital-Roux ; celui détient un commerce de soie Roux, Fournel & Cie ainsi
qu'un commerce de fleurs artificielles au nom de sa femme. Mallet s'associe avec Davillier
dans le commerce de toiles et d'indiennes. Moreau, marchand de fer, est associé dans Moreau,
Thomas & Desnoeux. Cette société au capital de 900.000 francs dégage environ
50 % de bénéfice en 15 mois. Guitton vend des articles de Paris ; Jame vend le vin
produit dans ses deux vignobles. Perregaux profite d'une pénurie de vin à Paris en mai
1802 pour racheter une grande part du vin disponible en France et faire ainsi une
plus-value confortable. Perrée possède 2 magasins à Granville. Sabatier commandite les sociétés Périer frères, Flory & Cie
à Paris et Henri Lhuilier & Cie à Lyon ; il détient aussi plusieurs
maisons de commerce avec Davillier, Flory, Martin-Puech.
Les armateurs
La plupart des ports français se trouvent représentés au Conseil
général. Ollivier, lié par sa femme à la famille havraise Homberg, participe à
plusieurs compagnies de transport fluvial entre Le Havre, Rouen et Paris. Perrée,
armateur à Granville, a épousé la fille de l'armateur malouin Tirel de la Martinère.
Delessert possède une compagnie maritime Delaroche et Cie, basée à Nantes.
Barrillon qui commandite Chegarray frères à La Rochelle et Gramont à
Bordeaux, possède également 2 bateaux ancrés à Bordeaux (le Pondichéry et le
Terrail) en association avec Buffault. L'armateur bordelais Journu-Auber est
très engagé dans le trafic avec les Antilles, notamment la traite d'esclaves.
Basterrèche est associé avec son frère armateur à Bayonne.
Les ports méditerranéens, Sète et Marseille, sont représentés par Hugues-Lagarde,
Martin-André, Bastide et Sabatier. Ce dernier détient de nombreux intérêts maritimes
avec Martin-Puech, Périer, Flory, Basterrèche et Carié-Bézard. Le bilan de Bastide
fait apparaître des parts de navires de commerce pour plus de 1.500.000 francs et 300.000
francs investis dans des navires corsaires.
A partir de 1802, Cordier arme plusieurs bateaux pour la pêche à la baleine. En 1805, le
bilan est arrêté : sur 18 bateaux armés, deux ont coulé et sept sont capturés par les
Anglais ; les neuf "survivants" ne doivent leur salut qu'à leur pavillon de
complaisance américain . En 1808, Martin-Puech participe à la Société pour les
Armements Maritimes (ou Cie Fonvielle) société de cautionnement mutuel
dont l'objet est de favoriser le commerce maritime. Mais la société fait faillite au
bout d'un an à peine suite à la perte de ses navires.
La péninsule ibérique et la
Méditerranée
De nombreux Régents commercent avec l'Espagne, surtout à
Cadix, point d'entrée des marchandises de l'empire espagnol. La Compagnie des Laines,
fondée par Barrillon, Hervas et Récamier importe de 1800 à 1804, les laines d'Espagne.
Procuration est donnée à Grandin, un industriel textile d'Abbeville, pour diriger la
société. Une partie des laines est réexportée vers Bristol. Doyen est lui aussi lié
à la Compagnie des Laines par la participation qu'il détient dans les affaires
de Grandin.
L'industrie textile consomme une grande quantité de coton
qui provient essentiellement du Brésil et du Levant, l'actuelle Syrie. Le commerce du
coton brésilien, qui transite par le Portugal ou l'Espagne, attire de nombreux
négociants ; ainsi Barrillon et Martin-André détiennent chacun une licence
d'importation d'environ 1.500 balles de coton par an. De 1808 à 1811, Hottinguer est
nommé à la tête d'un Cartel du coton, dont le bénéfice est estimé à plus
de 2.000.000 francs. Durant la même période, Barrillon et de nombreux négociants se
plaignent des agissements du maréchal Bessières qui bloque en Espagne toutes les balles
de coton en provenance de Cadix qui ne disposent pas "de la caution d'une grande
maison de Paris." Hottinguer, fournisseur privilégié de l'armée d'Espagne,
détourne probablement celle-ci de ses activités militaires pour consolider les
intérêts commerciaux du cartel.
En décembre 1804, le Conseil d'Etat attribue la Compagnie
des Concessions d'Afrique à plusieurs négociants languedociens. Par un traité
signé par le Dey d'Alger, cette compagnie détient le monopole d'exportation de la laine,
de la cire, du cuir. Elle peut en outre exporter annuellement 2.000 setiers de blés.
Disposant de plusieurs comptoirs (la Calle, Bonne, le Colo, le Cap-Nègre, Tabarque...),
la compagnie possède seule le droit de pêcher le corail le long des côtes algériennes.
Parmi les associés de la Compagnie des Concessions d'Afrique, on trouve Bérard
& Cordier qui importe de la laine depuis Constantine et Sfax.
Le commerce colonial
Pour la plupart des dirigeants, le commerce colonial
(Antilles et Océan Indien) remonte à l'Ancien Régime. Les familles Barrillon et
Hugues-Lagarde exploitent depuis plusieurs générations des plantations de canne à sucre
à Saint-Domingue. Journu-Auber implante une maison de commerce à Port au Prince où sa
femme possède plusieurs plantations. Sabatier rapporte des Antilles du cacao, du café et de la mélasse
qu'il transforme dans son usine de Sète.
Aussi l'encre de la Paix d'Amiens n'est-elle pas encore
sèche que de nombreux Régents reprennent le chemin des colonies. Bastide s'associe avec
Desprez et Homberg pour fonder une maison de commerce à la Réunion. Il ouvre des
succursales à la Martinique et au Sénégal : ses nombreux navires lui permettent de
générer un trafic très important entre Le Havre, où il installe les entrepôts de sa
maison de commerce et ses succursales coloniales. A noter aussi que Bastide est en
affaires avec ses cousins Fargeon & Rigaud, installés à Saint-Domingue.
Demautort et son cousin Fabas implantent un commerce à la Réunion. Doyen via la
société Hardouin frères et Martin-Puech s'implantent à l'île Maurice.
Périer investit à Saint-Domingue et raffine le sucre de canne dans son usine de
Marseille.
Sous l'Ancien Régime, la guerre d'indépendance a ouvert les
ports américains au négoce français. Ainsi Lecouteulx importe-t-il du tabac de Virginie
pour le compte de la Ferme Générale. Crétet, négociant bordelais, a fait lui aussi
plusieurs voyages en Amérique. A partir de 1802, Delessert spécialise sa filiale
maritime Delaroche & Cie dans le commerce franco-américain : elle importe du
coton de Virginie et de Géorgie notamment pour le compte d'Oberkampf. La reprise de la
guerre maritime avec l'Angletterre en 1804 coupe la France de ses colonies. De nombreux
négociants fortement investis dans les Antilles, utilisent des navires américains
(réputés neutres) pour rapporter les produits de leurs plantations. Pendant la période
1804-1815, les échanges avec les Antilles atteignent seulement un dixième du volume
constaté pendant la Paix d'Amiens.
L'Europe du Nord et la contrebande
Après la Paix d'Amiens (1802), soixante maisons de commerce
couvrant une zone allant de Cadix à Saint-Pétersbourg fondent la Compagnie Maritime
du Nord et de la Baltique. Dotée d'un capital de 8.400.000 francs, la société
construit une flotte de commerce et pratique le prêt sur gages aux armateurs. De nombreux
Régents ont sans doute participé à cette vaste association paneuropéenne. Davillier,
Carié, Desprez et Sabatier s'associent dans la maison de commerce
Filliettaz-Meyer à Anvers ; Lecouteulx et Hottinguer commanditent la société Devries,
spécialisée dans le textile. Goupy importe des céréales en provenance d'Europe du
Nord.
Fortement dépendants du commerce international, les Régents
voient leur activité menacée par le Blocus continental. Ainsi cherchent-ils à le
contourner après 1807 en pratiquant la contrebande à grande échelle. Les régents
semblent extérieurs aux réseaux de contrebande connus (mis à part les liens avec la
banque Thorton Power & Cie de Hambourg, et la présence de Martin Laffitte
(le frère du Régent) dans plusieurs affaires de contrebande à Bordeaux. Le "groupe
de la Compagnie des Indes"
(notamment Lecouteulx) réactive les liens d'affaires tissés en Allemagne vers 1785 à
l'occasion du trafic de piastres. Martin-André, président du Tribunal de Commerce, aide
son fils, failli de 800.000 francs suite à des opérations de contrebande. Des
marchandises anglaises sont saisies à plusieurs reprises dans les entrepôts de Soëhnée
; celui-ci participe avec Davillier aux ventes de la Compagnie anglaises des Indes.
A la fin de l'année 1809, Soëhnée doit réduire son activité et son capital sous
l'effet du Blocus.
Les liens d'affaires tissés au sein de la Compagnie des Indes
perdurent pendant toute la Révolution et l'Empire et de nombreuses associations
financières en sont issues : de nombreux dirigeants de la Banque sont actionnaires de la Compagnie des Indes :
Germain (70 actions), Moreau (120 actions), Sabatier (843 actions), Audibert (211 actions), Mallet (1.086 actions
avec son cousin genevois), Rodier (50 actions), Delessert (205 actions), Devaisnes,
Perregaux, Lecoulteux (200 actions), Périer, Cordier (250 actions avec son associé
Bérard), Carié-Bézard (100 actions), Davillier (352 actions), Martin-André,
Journu-Auber (60 actions) et Soëhnée (97 actions).
Les Munitionnaires
A partir de 1795, toute une génération d'hommes d'affaires s'enrichit en
quelques années avec les fournitures militaires. Face à l'absence d'intendance et de
moyens logistiques, la Convention thermidorienne sous-traite l'approvisionnement des
armées. Cette pratique perdure sous le Directoire, le Consulat et l'Empire. Le partage
des bénéfices de cette activité lucrative entre les donneurs d'ordres (politiques), les
munitionnaires et leurs banquiers entretient un climat de corruption incessante. Treize
Régents appartiennent au milieu des munitionnaires comme fournisseurs ou comme financiers
apportant les cautionnements nécessaires.
Les contrats de fournitures sont exécutés
dans des conditions relativement opaques. Les sociétés sont créées par des prête-noms
et dissoutes à la fin du contrat qui excède rarement quelques années. Seule exception,
les Lits Militaires : le contrat de fournitures des lits de la Marine est signé
sous Louis XV sous le nom de bail Desmazures. Sabatier qui a négocié le contrat avec le ministre de la Marine
écrit à son père "avec ce que l'on a donné au ministre, nous sommes
tranquilles pour des années". En novembre 1807, le contrat est étendu à
l'ensemble de l'armée sous le nom de bail Laurent. A la Restauration, la
société devient l'Entreprise des Lits Militaires de la Garde Royale. Pot de vin
rentable, puisque le contrat est reconduit pendant plus d'un siècle. Bastide,
Martin-Puech, Pierlot sont associés avec Sabatier. En 1808, le préfet de l'Hérault considère les Lits
Militaires comme la deuxième entreprise de Montpellier par l'importance de ses
affaires.
Barrillon détient de nombreux intérêts dans les
fournitures militaires : par exemple le contrat de fourniture des vins et viandes de la
marine de 1796 à 1802 qui rapporte plus de 80.000 francs par an à chacun des associés.
La Compagnie des Laines qu'il détient conjointement avec Récamier, s'associe
avec Grandin (propriétaire de la manufacture Amelin, Van Robais & Cie à
Abbevillle) dans l'Entreprise générale de l'habillement des troupes de la
République. Barrillon regroupe toutes les autres participations dans le holding Limoges
& Mazères : la Cie Freydier qui fournit en pain Paris et ses environs,
l'Entreprise des Equipages d'Artillerie qu'il exploite via Gramagnacq &
Cie et Lauchère & fils, auxquelles s'ajoutent trois affaires liées à Ouvrard, la Cie
Chérubini pour la fournitures des vivres de la Marine, la Cie Duboeuf qui
cautionne l'affaire des fournitures de vivres à la Flotte espagnole de Brest et la Cie
Noë pour la fourniture de fourrage aux Armées de l'Intérieur et d'Angleterre.
Récamier est souvent lié à Barrillon dans les fournitures militaires, notamment via la Compagnie
des Laines. Il commandite de nombreuses sociétés : la Cie Montessuy pour
la fourniture générale aux hospices de la marine et les hôpitaux des invalides (Paris,
Louvain et Avignon), Crucy frères chantiers navals nantais qui construisent des
navires de guerre pour la marine et la Cie Pasquier pour les fournitures à la
marine de Brest. Récamier s'associe avec Michel le jeune dans la Cie Maréchal,
entreprise de fournitures générales de la marine.
Sévène soutient de nombreux munitionnaires : le languedocien Louis Frainneau pour les
fournitures générales à la Garde des Consuls et à la 1ère Division Militaire, la Cie
Mannier pour les fournitures générales des hôpitaux militaires et Podosta
& Cie qui ravitaille les places militaires de Corse.
D'autres Régents apparaissent de façon plus ponctuelle :
Bastide s'associe à Vanlerberghe pour l'approvisionnement en blé de l'armée d'Espagne,
Carié l'ancien munitionnaire général de la Marine, Doyen qui participe à l'habillement
de l'Armée de Sambre et Meuse via la société Romberg & fils à Bruxelles,
Hottinguer ravitaille l'Armée de Catalogne via la Cie Maubreuil et en profite
pour ramener d'Espagne des denrées coloniales de contrebande. Sous la Terreur, Périer
s'achète une conduite civique en fondant la Société des Sans-Culottes Républicains,
fabrique d'armes à Grenoble.
Le Conseil général de la Banque refuse de financer les
opérations militaires. En avril 1800, les administrateurs généraux des Étapes des
Convois Militaires sont exclus de l'escompte ; même refus en juin 1806, quand le
Ministère de la Marine demande à la Banque un crédit ouvert sur des banques russes de
1.000.000 francs par mois pour acheter des munitions aux arsenaux de Riga et
Saint-Pétersbourg.
Par l'importance de ses affaires, Gabriel Julien Ouvrard se trouve lié à de nombreux Régents. Ainsi
emploie-t-il souvent les services de Flory, commissionnaire qui lui sert de prête-nom.
Les munitionnaires tels Barrillon, Bastide, Carié-Bézard, Desprez, Pierlot ou Sévène
lui sont naturellement très proches.
Les Investissements Industriels
L'implantation géographique des investissements industriels montre une
forte concentration en Ile de France et dans les régions limitrophes (Normandie, Centre,
Picardie, Champagne et Bourgogne). Les Régents se constituent généralement un
patrimoine-type autour de leur hôtel parisien : château en Ile de France et fermes dans
les grandes régions agricoles aux alentours (Beauce, Brie, Oise, Normandie,
Sologne ).
La plupart des provinciaux gardent des attaches dans leur région d'origine par le biais
d'héritages ou d'investissements de proximité : Carié en Bretagne par l'héritage de
son beau-frère, Dibon dans l'Eure, Jame en Bourgogne, Journu-Auber en Gironde, Perregaux
et Martin-André en Suisse, Pierlot au Luxembourg. Il existe aussi une forte concentration
des languedociens et des marseillais autour de la Camargue. Les receveurs-généraux
concourent à l'éparpillement des investissements fonciers ; la plupart acquiert des
biens dans leur département de fonction : Buffault en Meuse, Gibert dans l'Oise,
Muguet-Varange dans l'Escaut ou Pierlot dans l'Aube. Ces investissements ont aussi une
motivation politique puisqu'il faut être propriétaire foncier pour être porté sur les
listes de notabilités.
La forte proportion des biens situés en Belgique est due à l'apurement de certains
impayés du Directoire par la remise des biens nationaux belges, le Consulat fait de même
avec les biens nationaux situés dans les départements rhénans. De nombreux régents
réinvestissent dans les " îles à sucre " à la fin des hostilités avec
l'Angleterre, d'autres en Péninsule ibérique (investissements liés au négoce du coton
et de la laine).
Légende :
Bois, forêts
Fonderies
Tabac
Charbon
Laine
Textile
Chimie, savonnerie, verrerie
Sel
Travaux publics
Coton
Sidérurgie
Vignobles
Fermes
Sucre
Investissements fonciers
La vente des biens nationaux à partir de 1791 permet la
redistribution de plus du quart de la superficie de la France. En 1815, le nombre de
propriétaires fonciers a doublé par rapport à 1789. La prépondérance du foncier dans
les patrimoines de l'époque apparaît nettement chez les dirigeants de la Banque : 33
d'entre eux possèdent des exploitations agricoles réparties dans 39 départements.
L'investissement
forestier est moins répandu car il est souvent lié à une activité industrielle
consommatrice de bois dans les environs. Quelques Régents détiennent des domaines
forestiers en Bourgogne (Ollivier, Périer, Thibon), dans le Centre (Germain), en
Normandie (Buffault, Hottinguer) et en Picardie (Desprez, Flory). Jame est le seul
propriétaire de domaines viticoles en Bourgogne et dans le Beaujolais.
L'industrie du
sel est représentée par Carié qui hérite de marais salants dans le Morbihan et par les
Régents languedociens, associés depuis le XVIème siècle dans les Salins de Peccais,
près d'Aigues-Mortes. "Les salins de Peccais, près d'Aigues-Mortes ont été longtemps avec ceux
d'Hyères et d'Ibiza les grands pourvoyeurs du bassin méditerranéen. Peccais a compté
jusqu'à seize vastes salins regroupés dans le Salin du Midi. Une logique industrielle de
concentration les a maintenant détrônés au profit de ceux de Giraud, près de
Port-Louis de l'autre côté de la Camargue."
Industrie textile
L'industrie textile est le secteur le plus développé au
début du XIXème sièle. Davillier est à la tête d'un "petit empire" textile
avec six usines à Gisors, Dourdan, Wesserling, Passy, Beauvais et Lodève. Doyen
commandite la manufacture Fontenilliat du Vast (Manche) : l'usine qui emploie de
plus de 3.000 ouvriers est estimée à 1.500.000 francs. Les frères Sévène rachètent
la manufacture de velours près de Rouen ainsi qu'une usine de draps dans les environs. En
novembre 1802, Bonaparte visite la manufacture de velours : Isabey immortalise la scène
dans un tableau qui est exposé au musée de Versailles. Périer possède plusieurs usines
textiles dans l'Eure-et-Loir, l'Isère et le Loiret. Il décide de faire une
"uvre sociale" en embauchant des orphelins pour les former. Pensée peu
louable dans les faits : les enfants de moins de 10 ans travaillent 15 heures par jour
pour un salaire horaire de 1 centime.
D'autres régents détiennent des parts plus modestes dans l'industrie textile. Soëhnée
exploite la manufacture de Munster qui alimente en toiles imprimées ses deux magasins de
Colmar et de Paris. Delessert installe une usine textile à côté de sa raffinerie de
sucre à Passy. Dibon possède une part de l'usine familiale à Louviers (Eure). Desprez
et Pierlot soutiennent l'industrie textile de l'Aube. On peut rajouter l'élevage de
moutons mérinos à Tustal (Gironde) dans le domaine de Journu-Auber.
Métallurgie, sidérurgie
L'industrie métallurgique et sidérurgique nécessite des
investissements importants qui ne peuvent être supportés que par de grandes sociétés
par actions. Si Moreau tente l'aventure en solitaire en exploitant une mine de fer et un
haut-fourneau dans son domaine de Neuvy (Nièvre), d'autres prennent des participations
dans des sociétés industrielles : les Houillères & Fonderies de l'Aveyron
(Goupy), les Fonderies de Romilly (Lecouteulx), la Société des mines d'Anzin (Lecouteulx, Périer, Sabatier), les Mines de Noyant (Périer) et les Fonderies
du Vaucluse (Martin-André, Sabatier, Vital-Roux)
Fonderies de Romilly : fondée en 1785, la Cie
des Fonderies de Romilly sur Andelle a pour principal client la marine militaire
qu'elle fournit en pièces de cuivre de toutes sortes. En 1795, elle accroît ses ateliers
de fabrication "pour construire des chaudières pour les brasseries, distilleries
ou raffineries." Elle fabrique aussi les plaques d'impression pour les
indienneurs. Lecouteulx est le principal actionnaire des Fonderies de Romilly. En
novembre 1802, Bonaparte visite les installations lors d'un voyage en Normandie. La
société connaît des difficultés de trésorerie en janvier 1806 et obtient de la Banque
de France un escompte extraordinaire de 300.000 francs. La Cie des Fonderies de
Romilly figure dans la liste des 200 plus forts actionnaires de la Banque.
Fonderies du Vaucluse : la société
fabrique dans ses usines à Avignon et à Védenne "toutes espèces d'ouvrages (y
compris des canons) en cuivre, plomb, et tôle laminée, fer forgé et coulé, fer blanc
et autres métaux communs". En 1807, le banquier Léon Berr Fould acquiert
l'outillage et les usines. Pour exploiter les fonderies, il fonde une société au capital
de 2.400.000 francs divisé en 1200 actions dans laquelle il détient statutairement la
moitié des actions. Martin-André, Sabatier et Vital-Roux s'associent au projet.
A la suite des recherches de Lavoisier ou de Chaptal, émerge
à la fin du XVIIIème siècle une industrie nouvelle : la chimie. Paris voit de
nombreuses usines s'implanter à la périphérie. Buffault installe une fabrique de
vitriol quai de Javel ; Delessert détient une fabrique de noir animal (charbon obtenu par
la calcination d'os d'animaux) à Montsouris. Tous deux sont d'importants fournisseurs de
produits chimiques à l'industrie textile. En 1807, Buffault et Périer participent avec
les frères Mollerat à la création de la Cie des charbons, acides et goudrons
pour exploiter un nouveau procédé de distillation du bois.
Certaines activités paraissent plus traditionnelles comme la verrerie de Tourlaville
(Manche) appartenant à Germain ou les savonneries marseillaises du Régent
Hugues-Lagarde. Thibon détient une part de la tannerie parisienne Despagne & Cie
appartenant à ses beaux-frères
Agro-Alimentaire
Sabatier et Périer, liés au commerce avec les
Antilles, produisent du sucre de canne respectivement à Sète et à Marseille, tandis que
Delessert produit du sucre de betterave dans ses usines de Passy et de la Villette.
Robillard exploite depuis mars 1795 la Manufacture des Tabacs de Paris.
Installée depuis l'Ancien Régime place du Carroussel, la société déménage en 1808
boulevard Montmartre. Pour une mise de fonds de 1.400.000 francs, la manufacture distribue
à Robillard et à ses associés plus de 1.500.000 francs de bénéfice chaque année,
soit un rendement supérieur à 100 %. Mais la loi du 29 décembre 1810 met fin à cette
activité idyllique en nationalisant l'industrie du tabac.
Grands travaux publics
La
construction et l'exploitation d'infrastructures de transport (canaux, ponts, routes)
permet l'obtention de bénéfices sûrs et stables. Cette activité de père de famille
basée sur la perception de droits de péages connaît un renouveau au XIXème siècle. En
1802, le régime consulaire lance un programme de construction de 1.890 km de canaux ;
seulement 208 km sont ouverts au trafic en 1815.
Canal des Alpines :
les Alpines (ou Alpilles) sont un petit massif montagneux situé entre le Rhône et la
Durance. Au coeur du massif se trouve le village des Baux de Provence. Le canal forme une
dérivation de la Durance à partir de Mallemort, se divise en plusieurs branches puis
retombe dans la Durance vers Orgon.
En 1772, la Provence décide la construction d'un canal d'irrigation dans les Alpines.
Appelé canal de Boisgelin du nom de l'archevêque d'Aix promoteur du canal, il
est rebaptisé canal des Alpines en 1791. Le Régent Buffault détient 220
actions de la société du canal.
Canal de Beaucaire : le canal, situé dans
le Gard et l'Hérault, prend naissance dans le Rhône à Beaucaire, traverse Saint-Gilles
puis Aigues-Mortes. A cet endroit, il communique avec la Méditerranée par le Grau-du-Roi
et se prolonge par le canal de la Radelle jusqu'à l'étang de Mauguio et Séte, où il
rejoint le canal du Midi. Les travaux débutés en 1773 se terminent en 1805.
La Compagnie pour l'Entreprise des canaux d'Aigues-Mortes à Beaucaire et
d'Aigues-Morte à l'étang de Mauguio est créée en 1801, elle obtient une
concession de quatre-vingt dix ans à compter de la fin des travaux, ainsi que la
propriété des marais entre Beaucaire et Aigues-Mortes, sous réserve de leur mise en
culture.
Dotée d'un capital de 2.500.000 francs divisé en 500 actions, elle est transformée en
société anonyme en octobre 1808 et rebaptisée Compagnie du canal de Beaucaire.
Ce projet est contrôlé dès le début par les financiers languedociens ; plusieurs
Régents sont actionnaires du canal : Basterrèche (2 actions), Bastide (126 actions),
Cordier (19 actions), Davillier (20 actions), Sabatier. A partir de 1830, Davillier devient le président du Canal
de Beaucaire.
Trois
Ponts de la Seine : la société est chargée par un décret consulaire du 24
juillet 1801 de construire 3 ponts à Paris, à savoir les ponts des Arts, d'Iéna et
d'Austerlitz. La première assemblée générale se réunit dans les locaux de la banque Lecouteulx
& Cie, rue Saint-Honoré.
En mai 1803, la société connaît quelques difficultés de trésorerie ; elle propose à
la Banque de France de participer à une augmentation de capital en remettant les
nombreuses créances que la Banque possède en portefeuille. Malgré la présence de
plusieurs Régents dans le capital des Trois Ponts de la Seine : Lecouteulx,
Germain (15 actions), Flory (48 actions), Perregaux (60 actions), Sabatier (7 actions), la proposition est refusée par le Conseil
général le 1er juin 1803.
En 1808 , la Compagnie pour l'assèchement des marais de
Bourgoin (Isère) rachète plusieurs milliers d'hectares de marécages à la famille
de La Tour d'Auvergne afin de mettre valeur les terres agricoles à créer de
l'assèchement des marécages. Flory participe à cette société dont curieusement le
siège social est à Montpellier.
Les "octrois"
En mars 1799, l'octroi de Paris est affermé pour trois
années à la Cie Laurenson & Nobelly, commandite de 3.500.000 francs
détenue par Récamier et Roëttier de Montaleau. Ricard exploite en 1800 l'octroi de la
ville de Lyon.