LES DIRIGEANTS DE LA BANQUE DE FRANCE SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE (fin)
L'INFLUENCE
DU POUVOIR POLITIQUE
Bonaparte se méfie des financiers, sans doute craint-il un
contre-pouvoir sur lequel il a peu d'influence. Aussi le pouvoir consulaire se mêle-t-il
très tôt de la désignation des Régents. Les rapports intemporels et passionnels de la
politique avec l'argent se trouvent ainsi matérialisés au sein du Conseil général. Les
Régents et Censeurs tiennent néanmoins à maintenir leur indépendance.
A partir de 1806, il apparaît que leurs intérêts commerciaux sont inconciliables avec
la politique belliciste de Napoléon. Dès 1809, la plupart d'entre eux réduisent
sensiblement leurs affaires et attendent la chute du régime impérial. La "fournée
de barons financiers" de 1810 est assez mal perçue. Hottinguer note dans ses
mémoires que les Régents s'estiment "piégés" par ce qui peut-être
interprété comme une récompense à une possible allégeance au régime. Le 6 avril
1814, deux jours après l'abdication, la Banque de France entre en rébellion ; le Conseil
général élit le Régent Laffitte Gouverneur provisoire, mettant ainsi fin aux fonctions
du Gouverneur Jaubert.
Les Receveurs Généraux des Finances
"Trois Régents seront pris parmi les receveurs
généraux des contributions publiques" (Loi du 22 Avril 1806)
Suite à la réforme de Gaudin en 1799, le receveur-général est
responsable de la perception des impôts directs dans son département. Il reverse les
impôts à l'Etat par douzième en émettant des obligations payables à son domicile
chaque mois. Les obligations des receveurs-généraux deviennent rapidement un papier
commercial très apprécié : certaines années, cela représente 85 % du portefeuille
d'escompte de la Banque.
Une place de receveur-général est très prisée sous l'Empire : les élus doivent
justifier d'un cautionnement égal au vingtième de la contribution foncière du
département ; leur traitement est de 6.000 francs par an plus une remise de 0,33 % des
recettes fiscales auquel il faut rajouter un intérêt fixe calculé sur le montant de
leur cautionnement. Les receveurs-généraux sont à l'origine de la Banque de France
puisque la Caisse d'Amortissement utilise la moitié de leurs cautionnements pour acheter
les 5.000 premières actions de la Banque en 1800. A partir de 1806 , trois d'entre eux
doivent siéger au Conseil général. En neuf années, six receveurs-généraux siègent
au Conseil général : Buffault (Meuse), Dibon (Aisne), Ducos (Deux-Nèthes), Gibert
(Oise), Muguet-Varange (Escaut) et Pierlot (Aube).
Les receveurs-généraux forment une élite financière disséminée dans tous les
départements : ils deviennent les correspondants naturels de la Banque dans les
départements. Le Trésor public demande des avances incessantes à l'Agence des
Receveurs-Généraux ; ainsi en décembre 1805, un Comité des Receveurs Généraux est
créé pour suppléer à Desprez dégagé du service du Trésor public : sont réunis chez
le ministre Barbé-Marbois, les sieurs Buffault, Gibert, Pierlot, Harlé auxquels est
adjoint Gossuin pour former le Comité des Receveurs Généraux qui reprend le service de
fonds du Trésor public soit un intérêt de 0,875 % par mois (plus 0,5 % pour les
espèces et 0,25 % pour les mandats) sur les fonds envoyés à Paris.
La Régie des Droits Réunis
En 1791, l'abolition des impôts indirects est considérée
comme une grande avancée fiscale. La dégradation des comptes de la Nation sous le
Directoire, conduit l'Etat à rétablir un certain nombre d'impôts indirects : droit de
timbre en 1798, droit sur les cartes à jouer (25 centimes par jeu), taxe sur les voitures
publiques, sur les matières d'or et d'argent et un droit sur la fabrication du tabac. En
février 1805, ces impôts sont regroupés au sein de la Régie des Droits réunis. La loi
rétablit aussi une taxe de 10 % sur les ventes de boissons au détail (taxe portée à
16,5 % en 1813). En 1806 renaît l'impôt sur le sel ; la taxe de 20 francs perçue par
quintal est portée ensuite à 40 francs.
Le rendement des impôts indirects progressent très rapidement : 76 millions de francs en
1807, 83 millions de francs en 1808 et 220 millions de francs en 1803 soit autant que la
contribution foncière. Bonaparte nomme un homme de confiance, Jame, l'ancien trésorier
de l'expédition d'Egypte, receveur des Droits réunis. En 1811, la Banque de France
accorde un escompte extraordinaire de 15 millions de francs à la Régie des Droits
Réunis, montant porté à 20 millions de francs en 1812. En quelques années,
l'Administration des Droits réunis devient aussi impopulaire que la Ferme générale sous
l'Ancien Régime. En 1814, c'est avec des cris "Plus de conscription, plus de
droits réunis" que les Bordelais accueillent le comte d'Artois de retour
d'exil.
Les "transfuges" de la
Trésorerie Nationale
La Trésorerie Nationale chargée de la gestion des revenus
et des fonds de l'Etat et du Trésor public, est crée en 1791 sur les décombres du
Trésor Royal ; de nombreux commis de l'Ancien Régime intègrent la nouvelle
administration. Placée sous l'autorité directe des Assemblées, la Trésorerie Nationale
entretient des rapports houleux avec l'exécutif, en particulier sous la Terreur.
Garat, directeur général de la Banque, commence sa carrière comme premier commis de la
Caisse générale du Trésor royal en 1788. Il devient caissier général de la
Trésorerie Nationale en juillet 1791. Mais démissionne en août 1792 suite à un examen
de ses comptes diligentés par le comité des finances de l'Assemblée Nationale.
Emprisonné pendant 10 mois sous la Terreur (septembre 1793 à août 1794), il devient
directeur général de la Caisse des Comptes Courants en 1798 et intègre la Banque de
France en 1800. Garat est qualifié de "cheville ouvrière" de la
Banque et de "fondateur de l'ordre admirable qui règne dans les écritures"
par Jaubert dans un rapport de 1810.
Doyen, suit une carrière parallèle à celle de Garat, caissier du Trésor royal en 1789,
il devient caissier général de la Trésorerie Nationale de 1791 à 1793. Administrateur
de la Caisse des Comptes Courants, Doyen devient Régent de la Banque et siège au Comité
central. Devaisnes, fils du premier commis du Trésor sous Turgot, devient Commissaire de
la Trésorerie Nationale de 1791 à 1794. Administrateur de la Caisse des Comptes
Courants, il est le premier Contrôleur général de la Banque de France. Vial, ancien
caissier des recettes de la Trésorerie Nationale, devient en 1800 Caissier du
Remboursement des Billets.
Activité politique des Régents &
Censeurs
L'activité politique des Régents est
relativement réduite et souvent elle résulte de l'engagement de quelques-uns. Au 18
Brumaire, seuls 6 Régents ont exercé un mandat législatif : Crétet, Journu-Auber,
Lecouteulx, Martin-André, Perrée et Ricard. A partir de 1789, Journu-Auber, Lecouteulx
et Perrée abandonnent progressivement la gestion de leurs affaires pour se consacrer à
la politique ; pour les autres Régents l'activité politique est plus ponctuelle. Sous le
Consulat et l'Empire, le Conseil de régence compte 3 sénateurs (Journu-Auber, Lecouteulx
et Perregaux), 3 députés au Corps législatif (Doyen, Périer et Ricard) et 2 tribuns
(Jaubert et Perrée). A la suppression du Tribunat, Perrée est nommé conseiller-maître
à la cour des Comptes.
Les deux Gouverneurs (Crétet et Jaubert) sont conseillers d'Etat. Contrairement aux
Régents, ce sont deux hommes nommés en fonction de leur carrière politique. Crétet
quitte son poste de Gouverneur pour devenir Ministre de l'Intérieur et Jaubert, ancien
Président du Tribunat, est nommé à la cour de Cassation en 1814.
Par leur position
sociale, les Régents sont tous inscrits sur les listes des notables et peuvent donc
prétendre à des fonctions locales. Leur obligation de résider à Paris les destine
naturellement à exercer des mandats au sein du Conseil général de la Seine. Ainsi sont
élus conseillers de Paris : Mallet, Demautort, Sabatier, Doyen, Thibon, Delessert, Ollivier, Moreau. Sabatier et Demautort sont réputés présidents du Conseil général
de la Seine. On compte également quatre maires d'arrondissement : Doyen, Moreau, Guitton,
Delessert et 2 maires de communes d'Ile de France : Robillard (Magnanville) et
Muguet-Varange (Limeil-Brévannes). Seule exception, Ducos, qui possède une propriété
dans l'Oise, est élu conseiller général de ce département.
Neuf Régents siègent dans les juridictions consulaires. Martin-André, Flory,
Cordier, Davillier, Delessert, Goupy, Hottinguer, Laffitte, Thibon sont élus au Tribunal
de Commerce de Paris qui est présidé successivement par Martin-André et Flory.
Davillier, Hottinguer et Martin-André sont nommés au Conseil général du Commerce sur
proposition des Chambres de Commerce.
Liens politiques du Conseil général
Quelques Régents disposent de liens avec la famille
Bonaparte. Le plus proche Jame, condisciple de Joseph au collège d'Autun, trésorier de
l'expédition d'Egypte, devient l'intendant général de Joseph , roi de Naples, puis roi
d'Espagne. Barrillon de retour de Saint-Domingue se lie avec Lucien et fréquente la "côterie
de Lucien" notamment la duchesse d'Abrantès. Goupy, banquier des princes
italiens, gère les biens d'Elisa, princesse de Lucques et grande-duchesse de Toscane. En
1815, il défend au Congrès de Vienne les intérêts de celle-ci en intervenant auprès
des Alliés. Joséphine de Beauharnais, égérie du Directoire, entretient de nombreux
liens avec les financiers : les munitionnaires Desprez, son secrétaire des commandements
et Pierlot, son intendant général entrent au Conseil général.
L'influence du second consul Cambacérès apparaît plus nettement : Sabatier son cousin, Basterrèche l'époux de sa nièce Rose Duvidal
de Monteferrier et Martin-André, époux d'une cousine Christine Fesquet. Mathieu Molé
décrit Jaubert comme "une créature de Cambacérès" ; les traces
d'une correspondance soutenue entre l'Archichancelier et le Gouverneur tendent à prouver
une relation étroite entre les deux hommes. Ducos, qui invite Cambacérès au mariage de
son fils comme témoin, se voit offrir le seul portrait connu de celui-ci. Avocat
d'affaires, Cambacérès est le conseiller juridique de la Compagnie des Indes, de
la Société des mines d'Anzin et d'Ouvrard, sans doute
n'est-il pas étranger à la forte représentation de ces groupes financiers au sein du
Conseil général ?
L'influence d'autres personnages politiques apparaît de façon plus sporadique. Lebrun,
troisième consul, assiste au mariage du fils de Demautort. Ces deux proches du Chancelier
Maupéou se fréquentent depuis l'Ancien Régime. Talleyrand et Hottinguer se connaissent
depuis les Etats-Unis, où ils se sont livrés à des spéculations foncières.
Leurs opinions politiques
Beaucoup de Régents n'ont comme seule conviction politique
que le bénéfice annuel de leur maison de commerce. On peut néanmoins classer
politiquement une minorité d'entre eux :
Les révolutionnaires
Barrillon, planteur à Saint-Domingue, est un esclavagiste
notoire : il lutte les armes à la main pour défendre sa propriété lors de la révolte
des esclaves en août 1791. De retour en France, il participe à la défense de Lyon
contres les armées de la Convention, se rallie au Directoire puis au Consulat. Libéral,
il se rapproche de Lucien Bonaparte et désapprouve ouvertement la proclamation de
l'Empire.
Basterrèche est emprisonné un an pour avoir dénoncé sous la Terreur les exactions
commises par un envoyé en mission à Bayonne. Libéré par les Thermidoriens, il devient
un des conseillers économiques du Directoire. Devenu neveu par alliance de Cambacérès,
il meurt sans connaître l'Empire ; sans doute aurait-il eu une attitude critique envers
le rétablissement de la monarchie. Par son frère, Basterrèche est très lié
politiquement au général Moreau.
D'abord jacobin, Ducos est proche des Thermidoriens. Grâce à Cambacérès, il devient un
haut-fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. Ducos semble regretter
Thermidor sous Bonaparte et devient un nostalgique de l'Empire sous la Restauration.
Fervent révolutionnaire, Vital-Roux participe au siège de Lyon, sa ville natale. Il y
commet de nombreuses exactions. En 1795, lors de la terreur blanche, il doit se réfugier
à Paris pour échapper aux représailles. Ses liens avec Savary, lui valent une franche
hostilité du nouveau régime à la Restauration.
Homme des Lumières, Sabatier accueille avec enthousiasme la
Révolution. La protection de son cousin Cambacérès lui permet d'être un des rares
fermiers-généraux rescapés. Il se rallie au 18 Brumaire, mais l'incapacité de
Bonaparte à faire une paix durable avec l'Angleterre détache sans doute du régime cet
anglophile convaincu. Libre-échangiste, il avait négocié en 1785 un traité commercial
entre les Compagnies des
Indes anglaises et françaises ; ce projet fut repoussé par Vergennes, le ministre de
Louis XVI.
Les bonapartistes
Hugues-Lagarde émigre en 1793 après la mort de son père
guillotiné. Rentré en France sous le Directoire, il se rallie au Consulat dans le
sillage de son beau-frère Audibert.
Trésorier de l'expédition d'Egypte, Jame est très proche de Bonaparte. Sous le
Consulat, il utilise cette relation pour faire radier certains personnes de la liste des
émigrés.
Député des Cinq-Cents, Ricard soutient le 18 Brumaire. En compensation de son
ralliement, il est nommé député au Corps législatif.
Thibon est un franc partisan bonapartiste. Tel monsieur Noirtier dans le Comte de
Monte-Cristo, il vit dans un véritable musée de l'Empire. A la Restauration, "attendu
des obligations personnelles qu'il doit à l'Empereur" il refuse de prêter
serment à Louis XVIII et marie ses enfants à des familles ouvertement bonapartistes. Il
est curieusement confirmé dans ses fonctions de Sous-Gouverneur par Louis XVIII puis par
Charles X.
Les opportunistes
Journu-Auber est monarchiste au début de la Révolution, se
tient caché sous la Terreur puis se rallie à chaque fois au nouveau régime en place
(Consulat, Empire, Restauration). Seul Régent négrier avéré, c'est un partisan du
rétablissement de l'esclavage.
Lecouteulx, monarchiste en 1789, devient un des instigateurs du 18 Brumaire par ses
liens
avec Seyiès, dont il est le banquier. Il abandonne progressivement les affaires pour se
consacrer à la politique : il occupe une fonction législative de 1789 à 1830.
Lecouteulx, partisan d'un accord de libre-échange avec l'Angleterre, semble se détacher
de Bonaparte à la rupture de la Paix d'Amiens.
Au début de la Révolution, Perrée est le maire royaliste de Granville (nommé par Louis
XVI en 1783). Il devient partisan de la Terreur et préside le conseil de surveillance
civique de Granville. Elu membre du conseil des Anciens, il appuie le 18 Brumaire qui le
récompense en le nommant au Tribunat. A la suppression de cette assemblée, il est nommé
conseiller-maître à la Cour des comptes. En 1814, il présente ses voeux à Louis XVIII,
puis à Napoléon pendant les Cent-Jours et à nouveau à Louis XVIII après Waterloo.
Comme de nombreux concitoyens, Moreau "retourne sa veste" en 1814 : ce
bonapartiste devient royaliste à la Restauration.
Les royalistes
Ami et notaire de Mirabeau, Demautort adhère au Club des
Feuillants. En 1791, il est administrateur du département de la Seine et s'oppose à
Pétion, le maire de Paris. Demautort échappe de peu aux massacres de Septembre. Ses
opinions royalistes lui coûtent ses fonctions de notaire qu'il retrouvent en 1795. Très
proche de Lebrun et de Dubois, préfet de police de Paris, il est récompensé par le
Consulat, régime qu'il ne soutient guère.
Cousin de Lavoisier, Gibert multiplie les témoignages de sympathie envers la famille
royale après 1789. Il se rapproche du parti légitimiste à la Restauration.
Proche des orléanistes en 1789, Mallet est emprisonné à plusieurs reprises sous la
Terreur. Libéré après Thermidor, il abandonne toute activité politique et se rallie
aux Bourbons en 1814.
Contre-révolutionnaire engagé, Martin-André préside le directoire du département des
Bouches-du-Rhône. Il doit émigrer à Genève après s'être opposé aux
révolutionnaires. Mais Genève fait aussi sa révolution et Martin-André doit quitter la
ville.
Pour ses opinions monarchistes , Martin-Puech reçoit la Légion d'honneur en décembre
1814.
Catholique conservateur, Ollivier refuse tout poste politique sous l'Empire. Il est nommé
pair de France par Charles X.
Inquiété à maintes reprises en raison de ses positions royalistes, Récamier passe sans
encombre la Terreur grâce à ses appuis politiques. Le couple Récamier compte parmi les
premiers opposants au Consulat et prend publiquement la défense du général Moreau
contre Bonaparte. En 1803, Bonaparte ordonne la fermeture du salon de Juliette Récamier,
considéré comme un foyer d'opposition. Récamier est associé aux différents projets de
coup d'état de Moreau et Bernadotte. En 1811, Mme Récamier est exilée à l'Abbaye au
Bois en raison de ses liens avec le parti royaliste.
La Banque de France en bourse
Le cours de l'action Banque de France, comme le cours de la rente, est
considéré par Napoléon comme un des indices de popularité économique du régime.
Emise à 1.000 francs en janvier 1800, l'action Banque de France se maintient autour de
1.250 francs pendant le Consulat et l'Empire. Seules l'invasion de la France en 1814 et la
défaite de Waterloo en 1815 poussent l'action à coter en dessous de son nominal.
L'action Banque de France acquiert le statut de valeur de père de famille, de nombreuses
dots sont constitués de quelques actions de la Banque. Pendant l'hiver 1801, Barrillon
soumet un projet de cotation de la Banque à la bourse de Londres en rachetant les 10.000
actions détenues par la Caisse d'Amortissement. La dégradation des relations
anglo-françaises a raison du projet.
Les transactions sur les actions de la Banque sont importantes. Ainsi assiste-t-on en 1805
à une forte concentration du capital de la Banque, mais la spéculation retombe l'année
suivante. Au second semestre 1808, les dirigeants de la Banque ne détiennent plus que
5.000 actions, soit 6,70 % du capital.
L'un des objectifs
assignés à la direction de la Banque est de maintenir le dividende au-dessus du seuil
statutaire de 6 %. Dès octobre 1806, la stagnation des affaires, oblige la Banque à
rechercher des "opérations extraordinaires sûres et variées" afin de
maintenir le dividende. Cretet obtient l'autorisation de racheter 1.500 actions tout en
omettant de déclarer les 7.500 actions déjà détenues par la Banque. Juillet 1808,
dérogation est donnée à la Banque de France pour garder les diamants gagés pour un
emprunt du gouvernement espagnol ; la Banque touche une commission de 5 %.
Les sommes allouées au Gouverneur pour acheter des rentes et des actions de la Banque
augmentent sensiblement : 5.000.000 francs en 1808, 6.000.000 francs en 1809 et 20.000.000
francs en 1811. Par ces achats successifs, le capital de la Banque se trouve amputé d'un
tiers. Suite à quelques ponctions dans les réserves et autres artifices comptables, la
Banque affiche chaque année un dividende supérieur au seuil psychologique de 6 %.
CONCLUSION
La Banque de France,
fréquemment qualifiée de "fille du 18 Brumaire", est abusivement
décrite par les historiens comme un simple rouage de l'administration napoléonienne. En
répondant par l'affirmative à certaines demandes de baisse du taux de l'escompte ou
d'avance de fonds au Trésor public, les Régents donnent à Napoléon Bonaparte
l'illusion qu'il contrôle la marche de "sa banque". Avec la complicité des
Gouverneurs, les Régents mènent les affaires de la Banque en fonction de leurs
intérêts particuliers, et ce souvent en contradiction avec les vues du régime.
Contrairement aux idées reçues, la plupart des dirigeants de la Banque se connaissaient
avant leur nomination au Conseil général. Si certains paraissent isolés cela résulte
souvent d'une absence de sources sur leurs affaires. Leurs descendants siègent au Conseil
général sans discontinuer jusqu'à la réforme de la Banque de France initiée par le
Front Populaire en 1936. Derrière le mythe des "200 familles" se cache
donc une réalité plus restreinte : celle d'une vingtaine de familles qui gère les
affaires de la Banque pendant plus d'un siècle.