Cambacérès (1753-1824) Me contacter

LES FINANCIERS

"Le second consul, Cambacérès, inspirait confiance aux gens d'affaires habiles et laborieux qui avaient fait leur chemin dans la Révolution." (Etienne-Denis Pasquier, Mémoires de mon temps)

La Compagnie des Indes

Jeton de la Compagnie des Indes de 1785 (Musée de la ville de Lorient)En 1784, Guillaume Sabatier et son associé Pierre Desprez entreprennent un voyage à Londres. A la demande de Calonne, contrôleur général des Finances, ils négocient avec le gouvernement anglais la création d'une nouvelle compagnie française des Indes. Le 3 juin 1785 est créé une Compagnie des Indes orientales et de la Chine. Dotée d'un capital de vingt millions de livres, cette société détient le privilège du commerce au-delà du Cap de Bonne-Espérance (monopole confirmé par un arrêt du Conseil le 21/09/1786). La compagnie installe ses bureaux parisiens à l'hôtel Massiac, place des Victoires et prend possession des bâtiments, magasins et ateliers de l'ancienne compagnie à Lorient et à Marseille. Elle ouvre des comptoirs dans les établissements français (à Canton, à Pondichéry, sur les côtes du Bengale, de Coromandel et de Malabar, à Moka, à Mahé et sur l'île Maurice) et envoie également des correspondants dans les ports le long de la route maritime des Indes (de Lisbonne à Canton).
Louis XVI nomme douze directeurs : Bernier, Gougenot, Sabatier, Dodun, Moracin, Demars, Gourlade, de Montessuy, Bérard, Bézard, Périer et J.J. Bérard. Obligation leur est faite de détenir chacun 500 actions de mille livres soit 20 % du capital porté à 30 millions par le décret de septembre 1786. La compagnie arme une quinzaine de bateaux et prospère très rapidement. Les bénéfices permettent de distribuer un dividende de 18 % en 1788 et de 16% en 1789.
Le 3 avril 1791, l'Assemblée nationale décrète que " le commerce de l'Inde, au-delà du cap de Bonne-Espérance, est libre pour tous les Français " et prive ainsi la compagnie de son monopole. Réunis en assemblée générale le 10 avril, les actionnaires nomment 8 commissaires chargés d'étudier une éventuelle continuation de l'activité, parmi ceux-ci Dangirard (oncle de Mallet), Monneron (fondateur de la Caisse des Comptes Courants), et Sabatier. Le 23 mai, les actionnaires décident la reprise d'activité et nomment 4 commissaires Delessert, Fulchiron, Gauthier et Mallet chargés de rédiger les statuts de la nouvelle Compagnie des Indes. Le capital est réduit à trente millions et le nombre de comptoirs ramené à sept : Pondichéry, Yanaon, Mahé, Canton, Surate , l'île Maurice et l'île de la Réunion. La libéralisation et la Révolution ne gênent pas la marche des affaires qui connaissent une croissance régulière et le cours de l'action atteint 1.500 livres.

Années

Chiffres d’affaires

Bénéfices

1786

14.631.807 livres

 

1787

12.805.994 livres

 

1788

19.157.615 livres

 

1789

11.088.028 livres

7.226.550 livres

1790

26.660.471 livres

8.013.363 livres

1791

35.154.473 livres

8.176.691 livres

1792

 

8.837.124 livres

1793

 

7.805.902 livres

Pendant la Terreur la Compagnie des Indes est soupçonnée d'activités contre-révolutionnaires et la Convention décrète le 26/07/1793 l'apposition des scellés sur ses bâtiments. Un deuxième décret du 11/10/1793 supprime la Compagnie des Indes et réquisitionne les marchandises et les navires (le tout estimé à 28.544.00 livres) ; les directeurs de la compagnie sont emprisonnés, nombreux sont guillotinés, les autres échappent à la peine capitale en se faisant interner comme malades mentaux à la maison de santé du docteur Belhomme sur recommandation de Cambacérès, cousin de Sabatier et président de comité de législation.
Après le 9 Thermidor, Cambacérès devenu président du comité de salut public, libère les directeurs rescapés. La direction de la compagnie est récrée sous une forme réduite : 10 personnes dont Sabatier, Mallet et Moreau. Le 30 mai 1795, une députation de quinze personnes (parmi lesquelles Lecouteulx, Audibert, Devaisnes, Mallet et Moreau) est envoyée à la Convention pour solliciter la restitution des biens saisis. En juillet 1795, le séquestre est levé et trois navires sont rendus. Mais la Compagnie des Indes ne peut reprendre ses activités commerciales et les actionnaires décident la liquidation. Décidés à obtenir réparation des réquisitions de 1793, les commissaires-liquidateurs Mallet, Martin fils d'André et Rodier entament une procédure judiciaire contre l'Etat qui se termine en 1875.
Nota Bene : les fonds provenant de la liquidation de la Compagnie des Indes sont déposés sur un compte à la Banque de France.

La Société des Mines d'Anzin

Fondée en 1756 par le vicomte Désandrouin et Jacques Mathieu, la Société des Mines d'Anzin est la plus grosse entreprise charbonnière française. L'utilisation de pompes à feu (machines à vapeur) pour pomper l'eau et remonter le charbon permet l'exploitation de galeries à plus de 200 m de profondeur. En 1789, la société avec 27 puits, 12 machines à vapeur et 4000 ouvriers assure le tiers de la production française. Les installations ont nécessité 25 millions de livres d'investissements (15 millions pour les puits, 2 millions pour les machines à vapeur et 8 millions pour le matériel).
Mines d'Anzin au début du XIXème siècle (fosse de Chaufour)En 1791, l'Assemblée nationale discute des concessions minières, la Société des Mines d'Anzin emploie Mirabeau pour sauvegarder ses intérêts. Les liens entre les Mines d'Anzin et la politique perdurent sous la Révolution avec l'emploi de Cambacérès comme conseiller juridique. En 1793, la part du capital détenue par les nobles émigrés (soit 14 sols) est saisie. Ces actions sont vendues à Désandrouin en juin 1795. Un mois plus tard, celui-ci en revend une grande partie (11 sols 1 denier) pour la somme de 2.261.700 livres à un groupe de financiers issu de la Compagnie des Indes.
Principaux actionnaires en l'an X :
Désandrouin 4 sols 10 deniers Thieffries 1 sol
Lecouteulx 2 sols 3 deniers Desprez 11 deniers
Périer 2 sols 3 deniers Vve Pourrat née Lecouteulx 11 deniers
Vve Bernier 1 sol 10 deniers Cambacérès 10 deniers
Sabatier 1 sol 10 deniers Berryer 6 deniers
N.B. : le capital social est d'une livre divisé en 24 sols de 12 deniers chacun.
A côté de Désandrouin, on trouve la fine fleur de l'administration de la Compagnie des Indes : Desprez, Lecouteulx, Périer, Sabatier, les veuves de deux directeurs (Bernier et Pourrat), Thieffries (l'associé de Périer) et pour des parts plus modestes, les deux conseillers juridiques de la compagnie (Berryer et Cambacérès). Grâce à l'appui financier de Sabatier, les Périer prennent progressivement le contrôle des Mines d'Anzin.

Les Banquiers du 18 Brumaire

En novembre 1799, les nouveaux consuls ne trouvent que 167.000 francs dans les caisses du Trésor public. Le 24 novembre, Bonaparte convoque les banquiers parisiens les plus importants (Perregaux, Davillier, Germain, Sévène, Fulchiron, Mallet, Delessert & Récamier), leur expose la situation des finances publiques et exige un prêt de 12 millions de francs. Ceux-ci font mine d'accepter mais n'avancent que 3 millions sur les 12 demandés. Les finances du Consulat sont sauvées par l'intervention de Cambacérès qui obtient 8 millions de son ami Michel le jeune et par la création d'une loterie.
Globalement, les financiers adoptent une position attentiste vis-à-vis du régime consulaire. Une lettre du banquier Hottinguer résume le peu de soutien que le Consulat peut attendre des financiers : " Tout est aussi gelé que le temps ici. La Constitution est reçue avec tiédeur et je crains qu'elle ne soit pas une version définitive. "
Principaux créanciers de l'Etat en août 1801 :
Michel frères 7.132.600 F Fulchiron 630.000 F
Mont-de-Piété 5.023.000 F Combe 600.000 F
Récamier 1.600.000 F Sabatier 600.000 F
Delamarre 1.200.000 F Revenaz 554.000 F
Davillier 1.170.000 F Gosset 500.000 F
Banque de France 834.000 F Barrillon 500.000 F
Dewelle 640.000 F    
La " tiédeur " se traduit concrètement par un faible engagement des banques pour soutenir le régime qui doit emprunter 5 millions au Mont-de-Piété. Le clan des financiers liés à Cambacérès (Michel, Davillier, Fulchiron, Sabatier et Barrillon) apporte toujours un soutien important aux finances publiques. On peut noter l'engagement de Récamier qui devient le troisième créancier de l'Etat. Contrairement à ce qu'il est souvent écrit, les soi-disant banquiers du 18 Brumaire ont peu soutenu le nouveau régime à ses débuts. Seule la perspective de la paix d'Amiens et la reprise du commerce avec l'Angleterre amène les banquiers à soutenir Bonaparte à partir de 1802.

Gabriel Julien Ouvrard

(Clisson 11/10/1770 - Londres ??/10/1846)
Gabriel Julien OuvrardLe financier Gabriel Julien Ouvrard anime sous le Directoire un vaste réseau d'affaires lié au commerce colonial et aux fournitures militaires : depuis ses bureaux parisiens, il contrôle trois maisons de commerce à Brest, Nantes et Orléans, la banque Gamba, Gay & Cie à Anvers et détient des participations importantes dans trois sociétés parisiennes (Girardot & Cie, Rougemont & Cie, Charlemagne & Cie). Il également l'associé de fournisseurs importants : Vanlerberghe pour le blé, les frères Michel pour les fournitures militaires, Caroillon et Roy pour l'acier et le bois. Depuis la fin de l'Ancien régime, Ouvrard est associé aux armateurs bordelais Baour et Balguerie.

En septembre 1798, il obtient la fourniture générale des vivres de la Marine pour six ans : ce contrat de 64 millions de francs-or fut passé au nom de son beau-frère Blanchard. Quelques mois plus tard, il reprend le contrat de la flotte espagnole stationnée à Brest puis les fournitures de l'armée d'Italie en 1799. Il est arrêté en janvier 1800 sur ordre du premier consul Bonaparte, mais l'examen de ses comptes et de ses contrats (rédigés par son directeur juridique Cambacérès) ne laisse apparaître aucune irrégularité. Ouvrard libéré, participe aux approvisionnements de l'armée de Marengo et de l'armée d'Angleterre stationnée à Boulogne ; il est également l'un des fondateurs de la Compagnie des Négociants Réunis.

Après la crise de 1805, le Trésor public lui réclame la somme de 141 millions de francs-or. En 1809, Ouvrard est emprisonné à Sainte-Pélagie pour dette impayée et libéré trois mois plus tard. Comprenant que seule la paix maritime peut ramener la croissance économique, il tente de négocier une paix secrète avec l'Angleterre : ce projet mené avec Louis Bonaparte et Fouché lui vaut trois années de prison. La Restauration lui rend ses biens et annule sa dette envers le Trésor : la décision du duc de Richelieu, premier ministre de Louis XVIII, est sans doute motivée par d'anciennes et fructueuses relations.

19/08/06 - Emmanuel Prunaux