"Le second
consul, Cambacérès, inspirait confiance aux gens d'affaires habiles et laborieux qui
avaient fait leur chemin dans la Révolution." (Etienne-Denis Pasquier, Mémoires
de mon temps)
La Compagnie des Indes
En 1784,
Guillaume Sabatier et son associé Pierre Desprez
entreprennent un voyage à Londres. A la demande de Calonne, contrôleur général des
Finances, ils négocient avec le gouvernement anglais la création d'une nouvelle
compagnie française des Indes. Le 3 juin 1785 est créé une Compagnie des Indes
orientales et de la Chine. Dotée d'un capital de vingt millions de livres, cette
société détient le privilège du commerce au-delà du Cap de Bonne-Espérance (monopole
confirmé par un arrêt du Conseil le 21/09/1786). La compagnie installe ses bureaux
parisiens à l'hôtel Massiac, place des Victoires et prend possession des bâtiments,
magasins et ateliers de l'ancienne compagnie à Lorient et à Marseille. Elle ouvre des
comptoirs dans les établissements français (à Canton, à Pondichéry, sur les côtes du
Bengale, de Coromandel et de Malabar, à Moka, à Mahé et sur l'île Maurice) et envoie
également des correspondants dans les ports le long de la route maritime des Indes (de
Lisbonne à Canton).
Louis XVI nomme douze directeurs : Bernier, Gougenot, Sabatier,
Dodun, Moracin, Demars, Gourlade, de Montessuy, Bérard, Bézard, Périer et J.J. Bérard.
Obligation leur est faite de détenir chacun 500 actions de mille livres soit 20 % du
capital porté à 30 millions par le décret de septembre 1786. La compagnie arme une
quinzaine de bateaux et prospère très rapidement. Les bénéfices permettent de
distribuer un dividende de 18 % en 1788 et de 16% en 1789.
Le 3 avril 1791, l'Assemblée nationale décrète que "
le commerce de l'Inde, au-delà du cap de Bonne-Espérance, est libre pour tous les
Français " et prive ainsi la compagnie de son monopole. Réunis en assemblée
générale le 10 avril, les actionnaires nomment 8 commissaires chargés d'étudier une
éventuelle continuation de l'activité, parmi ceux-ci Dangirard (oncle de Mallet),
Monneron (fondateur de la Caisse des Comptes Courants), et Sabatier.
Le 23 mai, les actionnaires décident la reprise d'activité et nomment 4 commissaires
Delessert, Fulchiron, Gauthier et Mallet chargés de rédiger les statuts de la nouvelle Compagnie
des Indes. Le capital est réduit à trente millions et le nombre de comptoirs
ramené à sept : Pondichéry, Yanaon, Mahé, Canton, Surate , l'île Maurice et l'île de
la Réunion. La libéralisation et la Révolution ne gênent pas la marche des affaires
qui connaissent une croissance régulière et le cours de l'action atteint 1.500 livres.
Années
Chiffres
daffaires
Bénéfices
1786
14.631.807
livres
1787
12.805.994
livres
1788
19.157.615
livres
1789
11.088.028
livres
7.226.550
livres
1790
26.660.471
livres
8.013.363
livres
1791
35.154.473
livres
8.176.691
livres
1792
8.837.124
livres
1793
7.805.902
livres
Pendant la Terreur la Compagnie des Indes est
soupçonnée d'activités contre-révolutionnaires et la Convention décrète le
26/07/1793 l'apposition des scellés sur ses bâtiments. Un deuxième décret du
11/10/1793 supprime la Compagnie des Indes et réquisitionne les marchandises et
les navires (le tout estimé à 28.544.00 livres) ; les directeurs de la compagnie sont
emprisonnés, nombreux sont guillotinés, les autres échappent à la peine capitale en se
faisant interner comme malades mentaux à la maison de santé du docteur Belhomme sur
recommandation de Cambacérès, cousin de Sabatier
et président de comité de législation.
Après le 9 Thermidor,
Cambacérès devenu président du comité de salut public, libère les directeurs
rescapés. La direction de la compagnie est récrée sous une forme réduite : 10
personnes dont Sabatier, Mallet
et Moreau. Le 30 mai 1795, une députation de quinze personnes (parmi lesquelles
Lecouteulx, Audibert, Devaisnes, Mallet et Moreau) est envoyée à la Convention pour
solliciter la restitution des biens saisis. En juillet 1795, le séquestre est levé et
trois navires sont rendus. Mais la Compagnie des Indes ne peut reprendre ses
activités commerciales et les actionnaires décident la liquidation. Décidés à obtenir
réparation des réquisitions de 1793, les commissaires-liquidateurs Mallet, Martin fils
d'André et Rodier entament une procédure judiciaire contre l'Etat qui se termine en
1875.
Nota Bene : les fonds provenant de la
liquidation de la Compagnie des Indes sont déposés sur un compte à la Banque de France.
La Société des Mines d'Anzin
Fondée en 1756 par le vicomte Désandrouin et Jacques
Mathieu, la Société des Mines d'Anzin est la plus grosse entreprise
charbonnière française. L'utilisation de pompes à feu (machines à vapeur) pour pomper
l'eau et remonter le charbon permet l'exploitation de galeries à plus de 200 m de
profondeur. En 1789, la société avec 27 puits, 12 machines à vapeur et 4000 ouvriers
assure le tiers de la production française. Les installations ont nécessité 25 millions
de livres d'investissements (15 millions pour les puits, 2 millions pour les machines à
vapeur et 8 millions pour le matériel).
En 1791,
l'Assemblée nationale discute des concessions minières, la Société des Mines
d'Anzin emploie Mirabeau pour sauvegarder ses intérêts. Les liens entre les Mines
d'Anzin et la politique perdurent sous la Révolution avec l'emploi de Cambacérès
comme conseiller juridique. En 1793, la part du capital détenue par les nobles émigrés
(soit 14 sols) est saisie. Ces actions sont vendues à Désandrouin en juin 1795. Un mois
plus tard, celui-ci en revend une grande partie (11 sols 1 denier) pour la somme de
2.261.700 livres à un groupe de financiers issu de la Compagnie des Indes.
N.B. : le capital social est d'une livre
divisé en 24 sols de 12 deniers chacun.
A côté de Désandrouin, on trouve la fine fleur de
l'administration de la Compagnie des Indes : Desprez, Lecouteulx, Périer, Sabatier,
les veuves de deux directeurs (Bernier et Pourrat), Thieffries (l'associé de Périer) et
pour des parts plus modestes, les deux conseillers juridiques de la compagnie (Berryer et
Cambacérès). Grâce à l'appui financier de Sabatier,
les Périer prennent progressivement le contrôle des Mines d'Anzin.
Les Banquiers du 18 Brumaire
En novembre 1799, les nouveaux consuls ne trouvent que
167.000 francs dans les caisses du Trésor public. Le 24 novembre, Bonaparte convoque les
banquiers parisiens les plus importants (Perregaux, Davillier, Germain, Sévène,
Fulchiron, Mallet, Delessert & Récamier), leur expose la situation des finances
publiques et exige un prêt de 12 millions de francs. Ceux-ci font mine d'accepter mais
n'avancent que 3 millions sur les 12 demandés. Les finances du Consulat sont sauvées par
l'intervention de Cambacérès qui obtient 8 millions de son ami Michel le jeune et par la
création d'une loterie.
Globalement, les financiers adoptent une position attentiste
vis-à-vis du régime consulaire. Une lettre du banquier Hottinguer résume le peu de
soutien que le Consulat peut attendre des financiers : " Tout est aussi gelé que
le temps ici. La Constitution est reçue avec tiédeur et je crains qu'elle ne soit pas
une version définitive. "
La " tiédeur " se traduit concrètement
par un faible engagement des banques pour soutenir le régime qui doit emprunter 5
millions au Mont-de-Piété. Le clan des financiers liés à Cambacérès (Michel,
Davillier, Fulchiron, Sabatier et Barrillon) apporte toujours un soutien
important aux finances publiques. On peut noter l'engagement de Récamier qui devient le
troisième créancier de l'Etat. Contrairement à ce qu'il est souvent écrit, les
soi-disant banquiers du 18 Brumaire ont peu soutenu le nouveau régime à ses débuts.
Seule la perspective de la paix d'Amiens et la reprise du commerce avec l'Angleterre
amène les banquiers à soutenir Bonaparte à partir de 1802.
Gabriel Julien Ouvrard
(Clisson 11/10/1770 - Londres
??/10/1846)
Le financier Gabriel Julien Ouvrard anime sous le Directoire un vaste
réseau d'affaires lié au commerce colonial et aux fournitures militaires : depuis ses
bureaux parisiens, il contrôle trois maisons de commerce à Brest, Nantes et Orléans, la
banque Gamba, Gay & Cie à Anvers et détient des participations importantes
dans trois sociétés parisiennes (Girardot & Cie, Rougemont & Cie,
Charlemagne & Cie). Il également l'associé de fournisseurs importants :
Vanlerberghe pour le blé, les frères Michel pour les fournitures militaires, Caroillon
et Roy pour l'acier et le bois. Depuis la fin de l'Ancien régime, Ouvrard est associé
aux armateurs bordelais Baour et Balguerie.
En septembre 1798, il obtient la fourniture
générale des vivres de la Marine pour six ans : ce contrat de 64 millions de francs-or
fut passé au nom de son beau-frère Blanchard. Quelques mois plus tard, il reprend le
contrat de la flotte espagnole stationnée à Brest puis les fournitures de l'armée
d'Italie en 1799. Il est arrêté en janvier 1800 sur ordre du premier consul Bonaparte,
mais l'examen de ses comptes et de ses contrats (rédigés par son directeur juridique
Cambacérès) ne laisse apparaître aucune irrégularité. Ouvrard libéré, participe aux
approvisionnements de l'armée de Marengo et de l'armée d'Angleterre stationnée à
Boulogne ; il est également l'un des fondateurs de la Compagnie des Négociants
Réunis.
Après la crise de 1805, le Trésor public lui réclame la
somme de 141 millions de francs-or. En 1809, Ouvrard est emprisonné à Sainte-Pélagie
pour dette impayée et libéré trois mois plus tard. Comprenant que seule la paix
maritime peut ramener la croissance économique, il tente de négocier une paix secrète
avec l'Angleterre : ce projet mené avec Louis Bonaparte et Fouché lui vaut trois années
de prison. La Restauration lui rend ses biens et annule sa dette envers le Trésor : la
décision du duc de Richelieu, premier ministre de Louis XVIII, est sans doute motivée
par d'anciennes et fructueuses relations.