Cambacérès (1753-1824) Me contacter

LES DIRIGEANTS DE LA BANQUE DE FRANCE
SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE (suite)


LEURS ORIGINES

Certains renouvellements se font de façon "quasi-héréditaire". A Perregaux succède son associé Laffitte. Sabatier fait de même en laissant son siège à Martin-Puech. Lorsque Perrée est élu au Tribunat, c'est Doyen prend sa place au sein du Conseil général. Doyen et Perrée sont tous deux associés de Charles Henri Tellier, fils d'un employé de la Trésorerie Nationale. Le fils de Perrée épouse la fille de Tellier.
D'autres renouvellements se font par affinités géographiques. Ainsi Récamier failli cède son siège à Vital-Roux qui est originaire comme lui du village du Belley. Soëhnée et son successeur Martin-André sont deux négociants protestants suisses et sont apparentés à la famille Fesquet de Montpellier.

Origine géographique

Origine géographiqueL'étude des lieux de naissance des dirigeants montre une répartition équilibrée entre Paris et les départements : 3 sur 4 sont nés en province. Quatre d'entre eux sont nés à l'étranger : Hottinguer et Perregaux (Suisse), Pierlot (Belgique), Soëhnée (Allemagne). La prépondérance des régions frontalières ou portuaires souligne l'origine sociale des Régents et Censeurs : le négoce. On peut noter l'absence de 2 régions économiquement importantes au XVIIIème siècle : les Pays de Loire et le Nord - Pas de Calais.

Obligation est faite aux dirigeants de la Banque de résider à Paris, ceux-ci se fixent durablement dans la capitale. Ainsi 80 % d'entre eux décèdent en Ile de France. Notamment, Claude Périer, mort de froid pendant l'hiver 1801 parce qu'il trouvait que le bois de chauffage coûtait trop cher. L'état civil connaît encore quelques dysfonctionnements : douze dates de naissances sont approximatives, quatre Régents décèdent dans des circonstances inconnues. Par exemple, Jame disparaît mystérieusement pendant la nuit de Noël 1813 et ne sera jamais retrouvé.

Les "Montpelliérains"

Au XVIIIème siècle, les Languedociens règnent sur les finances de la France. Cette montée en puissance s'appuie sur certaines spécificités de cette région : le Languedoc dispose d'une totale indépendance financière vis-à-vis du pouvoir royal. Le Trésorier de la Bourse, qui gère les finances de la région, négocie tous les ans le "don gratuit", participation volontaire du Languedoc aux finances royales. Cette indépendance nécessite la mise en place d'une administration financière décentralisée au sein de laquelle se tissent de nombreux liens. La forte implantation du protestantisme dans la région favorise des alliances avec leurs homologues suisses et néerlandais. Cette internationalisation du négoce languedocien est amplifiée par la révocation de l'Edit de Nantes en 1685. Pour préserver le patrimoine familial, une branche se convertit au catholicisme et reste en France, pendant que les autres membres de la famille se réfugient dans toute l'Europe (Amsterdam, Cadix, Francfort, Gênes, Genève, Londres ou Mayence).
Paris n'échappe pas à la règle et les Languedociens "parisiens" tissent un réseau de relations denses qui s'articule autour du second consul Cambacérès et du ministre de l'Intérieur Chaptal. Dix Régents peuvent être qualifiés de languedociens. Bastide, Davillier, Martin-Puech, Sabatier et Sévène sont originaires de cette région tandis que Basterrèche, Carié-Bézard, Martin-André et Soëhnée s'intègrent au négoce montpelliérain par mariage. Il convient de rajouter Germain, originaire d'Avignon, qui par l'implantation de ses activités est qualifié de languedocien par la plupart des historiens.

Les liens familiaux

Liens familiauxAu sein du Conseil général, l'endogamie semble peu développée. Mais les liens existants reflètent les mœurs d'un bourgeoisie d'affaires toujours prompte à se marier entre " gens de bonne compagnie ". Carié, actionnaire important de la Compagnie des Indes épouse la sœur d'un directeur de la ladite compagnie ; la sœur de Carié épouse Augustin Périer, directeur de la compagnie à Lorient. Audibert, Hugues-Lagarde et Martin-André sont liés par des alliances conclues dans le négoce marseillais. Ricard est apparenté par sa femme à Muguet-Varange lyonnais comme lui et à Carié. Mallet épouse en premières noces la tante de Delessert ; les deux familles genevoises restent très liées après la mort de Mme Mallet.

Sacrifiant aux coutumes de leur "caste", les Régents nouent des alliances fructueuses : le fils Goupy épouse la fille de Ducos, le fils Hottinguer épouse la nièce de Delessert, le fils Dibon épouse la belle-fille de Davillier, le fils Soëhnée épouse la nièce de Martin-André, le fils Perrée épouse la petite-fille Vial, un des fils Perier épouse la cousine de Lecouteulx.
Autre lien quasi-familial, Cordier désigne Vital-Roux comme tuteur de ses enfants.

Domiciles parisiens

Domiciles parisiensLes habitats parisiens des dirigeants sont concentrés sur la rive droite ; ceux-ci préfèrent les nouveaux quartiers à la mode (Chaussée d'Antin, faubourg Poissonnière) au détriment des vieux quartiers passés de mode comme le faubourg Saint-Germain ou le Marais.
A partir de 1811, le gouvernement de la Banque loge à l'hôtel de Toulouse, il en est de même pour le Directeur-général et le Caissier général. Barrillon, Sabatier, Demautort, Desprez, Hottinguer, Martin-Puech, Muguet-Varange, Soëhnée, Vital-Roux, Delessert et Périer habitent les quartiers alentours entre le Palais-Royal, la place Vendôme et les Boulevards. Ces quartiers s'animent à la nuit tombée, car ici se concentrent les boutiques de mode, les théâtres, les restaurants mais aussi les maisons closes, maisons de jeux et autres tripots clandestins.
Jame et Journu-Auber habitent rive gauche ; ce quartier de Paris connaît au début du XIXème siècle une prolétarisation de ses habitants qui n'épargne que la zone comprise entre la Seine et le boulevard Saint-Germain. Guitton, Marmet, Moreau et Perrée vivent dans le Marais deserté progressivement par la vieille bourgeoisie parisienne.
Les autres dirigeants résident dans les quartiers de la Chaussée d'Antin ou du Faubourg Poissonnière. Depuis 1791, les constructions d'hôtels particuliers ne cessent jamais. Cette activité immobilière soutenue perdure sous le Premier Empire. La Chaussée d'Antin et la rue du Mont-Blanc (actuelle rue Laffitte) deviennent peu à peu le lieu de résidence privilégié des grands bourgeois parisiens.

La franc-maçonnerie

Seuls quelques Régents figurent sur les listes des loges parisiennes du Grand Orient conservées à la Bibliothèque Nationale. Demautort officie dans la loge de l'Amitié depuis 1780 ; Hugues-Lagarde fréquente la loge Saint-Jean d'Ecosse du Contrat Social et Moreau fait partie de la loge de l'Harmonie.
De nombreux proches des dirigeants de la Banque se retrouvent sur les tableaux de plusieurs loges parisiennes : les Amis intimes, les Amis Réunis ou la Société Olympique… L'étude de ces listes montre une absence de corrélation entre les liens d'affaires et la composition des loges. L'engagement maçonnique n'est pas basé sur des préoccupations mercantiles mais plutôt sur des convictions philosophiques ou politiques.

LES LIENS D'AFFAIRES AU SEIN DU CONSEIL GENERAL

A la fin du XVIIIème siècle, la frontière entre banque et négoce est peu marquée. (la banque d'affaires telle que nous la connaissons maintenant naît un demi-siècle plus tard sous le Second Empire). Le banquier est souvent un négociant qui pratique le commerce de l'argent à côté du commerce de denrées coloniales et de l'armement de navires.

Les Banquiers

Liens d'affairesLes deux tiers des dirigeants de la Banque exercent une activité bancaire. Certains sont issus de vieilles familles de banquiers comme Lecouteulx, Mallet ou Sabatier ; d'autres sont d'anciens commis ayant fondé leur propre banque. La bourgeoisie protestante, qui a émigré après la Révocation de l'Edit ce Nantes, revient en France à partir de 1787 après l'Edit de Malesherbes qui rend aux protestants leur droits civils.
De nombreux régents se connaissent sous l'Ancien Régime : Rodier est l'associé de Delessert depuis 1788, Hottinguer est un ancien commis de la banque Lecouteulx, Laffitte premier commis chez Perregaux devient son associé en 1806. D'autres régents sont liés par alliance ou par intérêt à des banques importantes : Gibert et la banque de son gendre François Alexandre Seillière ou Jame associé de la banque Vassal.

En août 1803, Barrillon connaît des difficultés de trésorerie. Il sollicite de la Banque un prêt de 2 millions de francs qu'il obtient en présentant la caution solidaire de Basterrèche, Bastide, Desprez et Récamier. La banque Basterrèche est très liée aux producteurs de cognac auxquelles elle avance de fortes sommes. Doyen soutient la finance rouennaise, notamment la banque Veuve Thézard ; il est aussi le correspondant parisien de la Banque de Rouen. Mallet, associé à Périer, pratique des prêts hypothécaires en Alsace et Franche-Comté. Martin-André ouvre une banque à Paris. Ollivier soutient les armateurs havrais et prête de fortes sommes aux Etablissements du Creusot. Pierlot détient une participation dans la banque Bruneau, Sébault & Cie et surtout dans la banque Doyen & Cie à laquelle il est très lié. Pierlot avance 600.000 francs à Desprez ; il est également le banquier de Lannes qui dépose chez lui plus de 700.000 francs. A la fin du Directoire, Récamier et Barrillon fondent une banque appelée Syndicat du Commerce, dont le siège social est le domicile de Récamier. Héritier de la plus vieille banque du Languedoc, Sabatier est aussi le principal associé de la banque Doyen & Cie. Avec Desprez, Périer et Flory, il se livre à des opérations financières sur le 5 % consolidé. La banque Sévène frères finance de nombreux contrats de fournitures militaires. En difficulté après la crise de 1805, elle obtient de la Banque un escompte de 330.000 francs.

Les activités étrangères des Régents sont surtout concentrées dans les deux pôles d'attraction de l'époque : l'Espagne et l'Europe du Nord (Londres - Hollande - Baltique). Basterrèche, Lecouteulx, Sabatier, et Récamier disposent des succursales à Cadix et Madrid et se livrent à de nombreuses opérations sur les piastres. Sabatier, Lecouteulx et Desprez spéculent sur les actions de la Banque Royale de Saint-Charles, la banque d'émission espagnole. Perregaux et Récamier soutiennent le commerce avec l'Angleterre et fournissent des crédits importants à Londres. Basterrèche ouvre des succursales en Suisse et à Hambourg.
La banque Goupy gère la fortune et le portefeuille de nombreux princes et négociants italiens. Elle possède des correspondants dans plusieurs villes italiennes : Lucques, Milan, Florence, Sienne, Rome et Gênes. Goupy est aussi le banquier d'Elisa Bonaparte. La banque Hottinguer participe à de nombreuses spéculations foncières aux Etats-Unis via la Holland Land Company et la Cie Cérès ; cette dernière société possède plus de 150.000 hectares dans le nord de la Pennsylvanie. Récamier est très actif à la Réunion, où il soutient plusieurs maisons de commerce.

Les Banquiers de l'Etat

Reprenant les pratiques de l'Ancien Régime et du Directoire, le Consulat multiplie les contrats de service de fonds avec les banquiers privés. De nombreux Régents participent aux opérations de financement de l'Etat. En mars 1800, Perregaux, Lecouteulx, Mallet, Barrillon, Germain, Sévène, Bastide, Fulchiron, Récamier et Doyen associés sous le nom des Dix Négociants Réunis avancent plus de 3.000.000 francs aux Armées d'Italie et du Rhin pour couvrir les dépenses de guerre. D'octobre 1801 à septembre 1802, l'Association des Banquiers du Trésor Public fondée par Perregaux, Mallet, Fulchiron, Récamier et Doyen avance plus de 30.000.000 francs par mois contre la remise d'obligations des receveurs généraux garanties par la Caisse d'Amortissement. Le contrat fixe la marge nette des financiers à 1,1875 % par mois, soit un bénéfice annuel de 4.275.000 francs. La faible récolte de l'année 1801 amène le régime consulaire a solliciter les Banquiers du Trésor Public pour approvisionner Paris en grains à raison de 45.000 quintaux par mois. La marge négociée est confortable puisque le gouvernement concède 2 % en plus du taux d'avance prévu précédemment.
Au printemps 1802, les prétentions des Banquiers du Trésor Public pour le renouvellement du contrat ne sont pas acceptées par le gouvernement qui confie le service de fonds aux Nouveaux Banquiers du Trésor Public, soit Barrillon, Bastide, Desprez, Naurissart, Fulchiron et Récamier: Le contrat est reconduit dans les mêmes termes avec une marge réduite à 1 % par mois, les financiers s'engageant à reverser à l'Etat un sixième des bénéfices. Les années suivantes, le contrat passe dans les mains de l'Agence des Receveurs-Généraux puis de la Cie des Négociants Réunis. En septembre 1805, Perregaux, Récamier et Doyen cèdent le service de la Régie des Droits Réunis à Desprez et à la Cie des Négociants Réunis.

La Caisse des Comptes Courants

En juin 1796, deux négociants Monneron et Godard créent une banque d'escompte appelée Caisse des Comptes Courants (le terme de banque est banni de France depuis l'expérience de la Banque Générale de Law). La société s'installe à l'hôtel Massiac, place des Victoires dans les anciens bureaux de la Compagnie des Indes, d'où son surnom de Caisse Massiac. Rapidement quelques financiers se joignent aux deux fondateurs : Lecouteulx, Fulchiron, Hainguerlot, Jubié (l'associé de Basterrèche). Dotée d'un capital de cinq millions de livres divisé en mille actions, la Caisse forme une sorte de "club de l'escompte" dont les activités se développent peu à peu. Après quelques mois, les administrateurs se décident à développer l'actionnariat car "des actions ont été prises, des lettres de changes ont été escomptées, des dépôts ont été reçus, des comptes ont été ouverts, des mandats sur la Caisse des Comptes Courants circulent".
Jeton de la Caisse des Comptes CourantsEn octobre 1796, la première assemblée générale réunit 23 actionnaires parmi lesquels on trouve des nouveaux venus comme Récamier, Doyen, Davillier, Barrillon ou Desprez. Deux années plus tard, la société compte 96 actionnaires qui détiennent 860 actions. En novembre 1796, la société décide d'émettre un papier "libre et réalisable à volonté" ; elle fait donc fabriquer 8 millions de francs en coupures de 500 francs et 1000 francs. Les effets escomptés sont payés en billets qui circulent chez les négociants parisiens. La Caisse des Comptes Courants se développe mais reste une banque exclusivement parisienne. En octobre 1798, elle se remet sans problème de la disparition de son directeur Monneron ayant préalablement emporté la somme de 2,5 millions de francs.
En janvier 1800, c'est donc un établissement solide mais à l'activité restreinte qui concurrence la Banque de France. Les premières approches de fusion sont menées par Germain et Barrillon. La Caisse des Comptes Courants jouit de sa réputation et de son ancienneté mais elle ne dispose pas de la surface financière de la Banque de France qui ne possédant ni bureau, ni matériel, ne peut démarrer ses activités avant plusieurs mois. Fin janvier, une nouvelle proposition est faite ; les actionnaires de la Caisse réunis en assemblée générale nomment cinq commissaires chargés d'étudier une fusion : Cordier, Fulchiron, Geyler, Davillier et Récamier. Le principe est acquis, il ne reste plus qu'à s'entendre sur la valeur des actions de la Caisse des Comptes Courants. C'est chose faite le 20 février 1800, la Caisse est absorbée par la Banque de France sur la base de 4.500 francs ou 5 actions de la Banque.
De nombreux Régents étaient actionnaires de la Caisse de Comptes Courants, si la plupart d'entre eux : Barrillon, Basterrèche, Carié-Bézard, Davillier, Desprez, Doyen, Germain, Hottinguer, Perregaux, Récamier et Sévène participent ainsi à la création de la Banque de France en échangeant leur actions. Il est amusant de noter que Cordier, Devaisnes (premier contrôleur général de la Banque), Marmet et Ricard ont peu confiance dans la nouvelle Banque de France et optent pour le rachat en numéraire de leurs actions. La Caisse de Comptes Courants subsiste encore aujourd'hui au travers de sa devise "La sagesse fixe la fortune" qui est devenue celle de la Banque de France.

La Caisse d'Escompte du Commerce

Billet de la Caisse d'Escompte du CommerceLa Caisse d'Escompte du Commerce est fondée en novembre 1797. Par opposition à la Caisse des Comptes Courants qui regroupe des financiers, elle pratique l'escompte au profit de ses actionnaires négociants ou manufacturiers parisiens dont Cordier, Flory, Moreau, Gibert, Pierlot, Sévène et Thibon. Germain, Marmet et Perregaux mettent en place une alliance entre la Caisse des Comptes Courants et la Caisse d'Escompte du Commerce pour distribuer des prêts gagés sur des dépôts de marchandises. Ses conditions d'escompte sont moins restrictives que celles appliquées par la Banque et le négoce parisien intervient plusieurs fois pour protéger "sa banque" contre la volonté du pouvoir de réunir les banques d'escompte à la Banque de France. Le 23 septembre 1803, la Banque de France absorbe la Caisse d'Escompte du Commerce et obtient le monopole d'émission à Paris.

Le trafic de piastres

Au XVIème siècle, la découverte d'importantes mines d'argent au Pérou et au Mexique permet aux Espagnols de frapper des quantités importantes de monnaies : une grande pièce en argent valant huit réaux appelée piastre ou dolera devient bientôt la monnaie la plus utilisée par les commerçants dans le monde entier et par conséquent la pièce la plus souvent mentionnée dans les histoires de pirates ou de chasse au trésor. La frappe des piastres espagnoles cesse en 1825, mais elles continuent d'avoir cours légal aux Etats-Unis (1857) et au Canada (1860). Elles circulent encore en assez grande quantité dans les villes côtières de Chine, en Inde et en Perse au cours des années 1930.
Piastre mexicaine de 1765Les piastres sont envoyés à Cadix dans les galions de la Carrera de Indias, l'administration espagnole qui organise le commerce maritime avec les Amériques. Les maisons de commerce du XVIIIème siècle s'approvisionnent en piastres auprès de la Banque Royale de Saint-Charles à Madrid qui en détient le monopole d'exportation. La piastre devient la monnaie de référence du commerce international ; sa valeur est reconnue et acceptée dans presque tous les pays du monde sans aucune décote. Chaque banque ou maison de commerce met en place une filière propre lui permettant de récupérer ce sésame commercial : ainsi la banque Sabatier soudoie-t-elle des marins espagnols pour qu'ils livrent à sa succursale de Cadix les quelques piastres qu'ils ont réussi à ramener du Nouveau Monde.
A partir de 1785, se met en place un syndicat de financiers français et espagnols qui pratique le trafic de piastres à grande échelle. Cabarrus, directeur de la Banque Royale de Saint-Charles s'associe avec Lecouteulx (Rouen), Récamier (Paris), Basterrèche (Bayonne) et Sabatier (Montpellier) pour exporter plus ou moins légalement des sommes très importantes. Les piastres sont chargées clandestinement à destination des ports français avec la complicité du consul général de France à Cadix. Une part importante des piastres est destinée à la Compagnie des Indes qui l'utilise directement pour ses achats en Extrême-Orient, notamment en Chine où l'argent affiche une surcote de 45% par rapport à l'or.
Thaler autrichien de 1776La Compagnie des Indes envoie aussi des piastres à Vienne pour être fondues en thalers : la monnaie d'argent à l'effigie de Marie-Thérèse est la seule pièce acceptée sans difficulté au Yémen et en Ethiopie (pays producteurs de moka : café très prisé). Les thalers restent utilisés comme monnaie dans cette région jusque dans les années 1950.
Le reste des piastres est partagé entre les membres du syndicat qui les utilisent pour leurs besoins propres : la part annuelle dévolue à Sabatier oscille entre 2,8 et 3,8 millions de livres ; Lecouteulx emprunte plus de 20 millions de livres par an auprès de la Caisse d'Escompte pour financer ses achats de piastres. Le syndicat alimente un vaste réseau de banques en Europe jusqu'à Amsterdam ou Hambourg. Dans ses mémoires, l'avocat Berryer raconte que le trafic fut dénoncé au Tribunal Révolutionnaire par Héron, un négociant failli de Marseille. Sabatier, son associé Desprez, les cousins Lecouteulx et Magon de la Balue (directeur de la Caisse d'Escompte) sont arrêtés. Sabatier et Desprez sont sauvés grâce à Cambacérès (voir aussi le chapitre sur la Compagnie des Indes), les Lecoulteulx achètent la clémence de Fouquier-Tinville ; seul Magon de la Balue finit guillotiné.
Le 21 avril 1800, Lecouteulx, premier président de la Banque de France, écrit à M. Alquier, Ambassadeur de la République Française en Espagne, il lui fait part de son désir de "lier la Banque de France avec les grandes corporations espagnoles, la Banque de Saint-Charles et les cinq Gremios". Lecouteulx entrevoit des résultats utiles pour la France et l'Espagne. Des discussions sont entamés avec Hervas, le chargé d'affaires espagnol à Paris et administrateur de la Banque Royale de Saint-Charles mais le projet n'aboutit pas.
Nota Bene : l'hispanophilie de Lecouteulx ne se limite pas aux affaires, il publie en 1810 un Essai sur la littérature espagnole.

Suite de l'article


19/08/06 - Emmanuel Prunaux