Cette scène se passe lors d'une réception chez
Cambacérès.
"Le comte Cabarot
était un trop fin diplomate pour faire prématurément confidence à ses meilleurs amis
de l'espoir charmant qu'il avait conçu. Il gardait au contraire la réserve la plus
complète le soir de ce beau jour où l'Empereur lui avait daigné promettre d'intervenir
en sa faveur. Mais, malgré cette discrétion, un si complet épanouissement dilatait son
laid visage, élargissait sa face plate, que le prince archi-chancelier,
non moins que M. d'Aigrefeuille et autres, ne purent s'empêcher d'en faire la remarque. -
" Faites-moi le plaisir de me dire ce qui charme si fort Cabarot ce soir? " se
disait-on.
C'était bien simple: le tendre Cabarot pensait à sa prochaine union avec Mlle Irnois.
Ici, quelque lecteur s'imaginera peut-être que le comte, n'ayant jamais vu sa belle ni
entendu parler de ses infirmités, se préparait à lui-même une douloureuse reculade. On
croira peut-être qu'il n'aurait pas voulu d'une jeune femme dans l'état de la pauvre
Emmelina: Qu'on se détrompe! Il faut ici connaître le comte Cabarot tout entier. Pour
six cent mille livres de rente, et même pour beaucoup moins, il aurait sans hésiter
donné sa main à Carabosse avec tous les travers de taille et les monstruosités d'humeur
de cette fée célèbre. Le comte Cabarot était un homme positif.
Je dis donc que ce soir-là, dans le salon du Prince Cambacérès, il fut
adorable d'esprit et de gaîté. Lorsque, la foule s'étant retirée, il n'y eut plus
autour de la cheminée qu'un petit nombre d'intimes, il se mit à raconter une foule
d'aventures plus ou moins risquées avec un goût, un tact, un mordant qui lui valurent
des applaudissements unanimes. Il était si heureux!"